Horizons… voyage en Yucatan avec Alejandro Madrigal

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Executive chef pâtissier du Rosewood Mayacoba, splendeur hôtelière au bord de la mer des Caraïbes, Alejandro Madrigal y développe plusieurs objectifs : changer le concept des desserts pour aller vers une base santé, enrichir le commerce local avec de nouvelles formes d’utilisation de produits régionaux et, un travail autour du chocolat mêlant approche avant gardiste et production artisanale. Une remarquable liaison entre passé, présent et futur.

Par Marie Anne Page

Au cœur d’un parc tropical dans la péninsule du Yucatan, l’hôtel Rosewood Mayacoba est bordé par la mer des Caraïbes aux plages de sable scintillant… Le resort grand luxe est proche de Playa del Carmen, une cité balnéaire joyau touristique mexicain. Nous sommes au long de celle que l’on nomme la « Riviera Maya », riche de sites archéologiques et d’une extraordinaire biodiversité.

Arrivé en 2018 au Rosewood Mayacoba, le chef assure avec sa brigade la production de tous les desserts de l’hôtel et ses 6 lieux de restauration thématiques, tous les produits en dégustation pour l’accueil des clients, ainsi que la partie sucrée des événements et des banquets.

A 33 ans, le jeune mexicain, natif deCuernavaca Morelos Mexico (une ville proche de la capitale), affiche un parcours impressionnant. Après une licence euro américaine en haute administration d’hôtels, restaurants et gastronomie, il part à Paris pour un BTS, traverse l’Atlantique pour trois années aux USA, s’installe quelques mois à Taipei…Evoluant aux côtés de grands chefs, il apprend patiemment et solidement les arcanes de la pâtisserie et du chocolat, avec celles du développement produits et de l’événementiel.

Dire qu’il voulait être musicien ! « Mais c’était compliqué et mes parents (qui m’ont toujours soutenu dans mes décisions), m’ont poussé vers la gastronomie, un autre mode de création. Au début pour être honnête, la cuisine ne m’intéressait pas beaucoup. C’est quand l’année de pâtisserie est arrivée que je me suis senti à l’aise, j’adorais cela. »

Voyant de potentiel, un professeur lui propose de faire un Master en France, l’université mexicaine étant liée avec celle de Cergy-Pontoise (elle-même supervisant le lycée hôtelier Guillaume Tirel, où Alejandro va étudier). « C’était un peu difficile au début avec la barrière de la langue, quitter mon pays pour la première fois…Mais je ne regrette rien !» Après l’obtention de son diplôme et les mois passés au Georges V, il s’envole (suite à des envois de C.V. sur différents pays), pour le Colorado et le mythique St-Regis à Aspen. Viendra après The GreenBrier en Virginie Occidentale, aux côtés du grand chef pâtissier Jean-François Suteau (qu’il assiste pour le World Chocolate Master en 2013). De belles expériences en hôtellerie de luxe…Mais, bien que toujours à l’écoute de nouvelles aventures, le chef ressent le besoin de retrouver ses racines. La possibilité se donne grâce à Antonio Bachour (un autre de ses mentors, particulièrement connu aux Etats Unis et en Amérique latine) ), qui lui confie une mission de création, design produits et développement de gammes au Palace Resort de Cancun. Celle-ci réalisée, le jeune chef va rester dans le Yucatan grâce Fidel Baeza (grand chef mexicain dont la réputation va bien au delà des frontières), qui lui confie le poste au Rosewood Mayakoba.

La pâtisserie mexicaine et son évolution

« Je crois que notre pâtisserie se réveille, avec plus d’acceptation et de respect grâce à beaucoup d’effort de professionnels en pâtisserie et boulangerie. Avant, le dessert était juste traité comme quelque chose de sucré pour terminer le repas. Maintenant il se pense en saveurs et en textures, harmonisées avec le menu. De même pour le pain, qui n’est plus un support pour mettre du beurre. Mais c’est encore compliqué car il n’y a pas d’école, de formation spécifique en support. Le plus beau est que nous avons le cacao, la vanille, le miel qui sont pour moi les bases de la pâtisserie. Ce qui fait que le mouvement qui se construit nous amène à découvrir et créer beaucoup plus que l’on pouvait l’imaginer. »

A l’image des palaces et leur univers, le Rosewood Mayakoba accueille une clientèle de très haut niveau, voyageuse, curieuse et avertie. Façon d’évoluer, de se vêtir, goûts, attentes… Ces hôtes représentent un formidable observatoire de tendances sur la gastronomie mondiale.

Pour Alejandro Madrigal, un travail résolument tournée vers le bien être…

Sa pâtisserie est régie par trois variantes : elle doit être légère, avec des saveurs bien marquées et, elle doit raconter une histoire, ce qui implique de bien connaître l’environnement. Le travail avec les produits locaux (dont ceux cueillis dans le verger), participent à donner une identité, à renforcer le concept. « Avec l’arrivée des allergies, du sans lactose, du vegan… je mesuis rendu compte que le moment était venu de faire une pâtisserie tournée vers le bien être. Avec mon équipe, on a commencé à faire des recherches, mais il y avait peu d’information. C’est là que des experts m’ont parlé de nouvelles tendances comme celles de Jordi Bordas à Barcelone et son B . Concept. Ma formation dans son école (par Internet cause Covid), a changé ma vie et ma façon de voir la pâtisserie. »

NDLR : Gagnant avec son équipe espagnole la Coupe du Monde de Pâtisserie en 2011, Jordi Bordas a créé ensuite son école à Barcelone. Parmi ses grands préceptes : connaître parfaitement les ingrédients et les techniques avant de commencer à développer la formulation des recettes.

Un univers tout d’abord lié au rythme des saisons

Le groupe Rosewood Hotels & Resort gère de luxueux sites dans différentes régions du monde, tous marqués par une forte identité (certains iconiques, comme le Carlyle à New York ou l’Hôtel de Crillon à Paris). Il s’agit de porter une philosophie qui s’harmonise, s’adapte et reflète chaque lieu, tant dans son histoire, que dans sa décoration et sa gastronomie.

En restauration salée et sucrée, la communication est donc très axée sur les saisons et l’ancrage régional. En exemple le dessert Ceiba, composé d’une glace de coco fumé, de gingembre, citron vert, avocat de la région et romarin, servi avec un croquant de graines de courge caramélisées et de coco lyophilisé. « Un dessert qui paraît n’avoir aucun sens mais qui en a beaucoup, car il réuni plusieurs histoires. Il rend hommage au ″ceiba″, un arbre très spécial ». Nommé « fromager », ou « arbre à kapok » dans d’autres régions tropicales, le ceiba est gigantesque avec une hauteur qui peut atteindre les 70 mètres, un tronc allant jusqu’à 3 mètres de diamètre. Considéré comme divin par différentes cultures, c’est un « arbre de vie » pour les Mayas. Ce sont les graines de ses cabosses qui sont comestibles, cuites ou grillées.

Autre dessert du jardin (en photo), avec une glace coco, citron vert, litchi, des framboises et de la pastèque grillée.

Des savoir-faire variés, des produits et des usages mexicains ancestraux

Comme le sorbet frito : une glace recouverte de pâte à tempura, plongée ensuite dans la friture. Inspirée du séjour d’Alejandro à Taiwan, elle est à la carte du restaurant « Agave y Azul », à la cuisine fusion entre le Mexique et l’Asie. Sa touche mexicaine vient d’une vanille et d’un miel réputés dans le monde entier. Vanille de Paplantla (classée AOP, elle est produite dans les états de Veracruz et Puebla), qui sature bien la glace, servie avec un toffee de miel melipona, un quasi élixir aux saveurs douces et florales. Unique à la péninsule du Yucatan, il est connu et produit depuis la civilisation maya.

Le « sorbet frito », entre Mexique et Asie
Le « sorbet frito », entre Mexique et Asie

« Notre boulangerie-viennoiserie est dirigée par Arlin Betuel, qui a énormément travaillé pour apprendre la boulangerie locale, le savoir-faire et les techniques françaises. Il nous délecte avec des créations entre notre région de Quintana Roo et la technique française. » En exemple, le pain au chocolat aux amandes et graines de courge. Le chocolat est une pure production du Rosewood : parfumé avec du piment, du poivre et de la cannelle, il est élaboré de façon artisanale et très rustique par l’usage du « metate », un outil qu’utilisaient les Mayas (une sorte de meule pour broyer les fèves).

Comme un France-Mexique, le pain au chocolat, amandes et graines de potiron grillées
Comme un France-Mexique, le pain au chocolat, amandes et graines de potiron grillées

Le travail du chocolat…poussé jusqu’à l’extrême !

« Ce que nous travaillons le plus est le chocolat. En sculptures, bonbons, desserts…avec notre chocolat régional. La dernière création : une pièce à la ″tatemado″. Nous y avons mis le feu et cela a donné des textures et des arômes inimaginables. J’ai toujours pensé qu’il fallait pousser les produits à l’extrême et aussi, que l’on peut amener la créativité à l’extrême. »

Expérimenter les saveurs des aliments d’une autre façon, donner au chocolat une touche très spéciale…Le tatemado ou « mettre au feu », est une technique de cuisson, où l’on fait rôtir, griller partiellement, est un héritage préhispanique qui fait partie des grandes bases de la gastronomie mexicaine.

Tatemado qui entre dans les différentes techniques avec le sous vide, le glacé…Il ne s’agit pas de substituer le sucre, mais de travailler autrement pour faire exploser les saveurs des fruits, des ingrédients…Apporter de la douceur avec un délicat travail d’ajustement pour équilibrer les recettes. « C’est compliqué mais possible en maîtrisant bien les techniques ». C’est le cas avec le monk fruit (ou fruit du moine). Originaire d’Asie, est déjà bien connu aux USA par son pouvoir édulcorant dépassant la stevia et, 300 fois supérieur à celui du sucre !

La photographie, un autre support pour exprimer sa créativité

« J’ai toujours aime l’art, j’ai toujours aimé créer et la photographie fait partie des arts visuels. J’en suis tombé amoureux. Etant conscient qu’il faut connaître le technique pour y arriver, j’ai étudié la photographie. On peut exprimer des émotions à partir d’une image et je crois que dans mon métier, cela donne plus de sensibilité, une autre perception de la gamme des couleurs… Cela donne le pouvoir de transmettre en sentiment qu’il y a eu dans la réalisation d’un dessert, d’un chocolat. Ce n’est pas facile, mais y arriver est quelque chose d’unique. »

Un savoir-faire d’autant plus précieux qu’il lui permet une totale indépendance (dont financière), pour réaliser ses prises de vues et ses vidéos. Alejandro réalise les photos de tous les desserts. Pour celui qui adolescent rêvait d’être musicien, quelle autre belle façon d’exprimer ses propres mélodies !

La madeleine de Proust d’Alejandro Madrigal

« Cela peut paraître étrange, mais ce que je savoure le plus n’est pas sucré. Ce sont les ″tacos al pastor″ de Cuernavaca Morelos, ma ville de naissance. Des tacos avec de l’ananas, de l’axiote (un fruit typique d’ici). C’est toujours un retour à l’enfance. En fait, c’est du salé-sucré ! J’aime beaucoup cette combinaison. Il y a aussi les ″molotes″ de Necaxa, la région de ma grand-mère : une pâte de maïs farcie de chorizo et frite, accompagnée de crème, sauce et fromage. »

Rosewood Mayakoba
Ctra. federal Cancun-Playa del Carmen
KM 298 Solidaridad. Q. Roo
C.P. 77710 Mexico

rosewoodhotels.com/es/mayakoba-riviera-maya

NDLR : les quelques photos qui suivent font partie de recherches personnelles, pour lesquelles le chef aiment autant capter des moments de joie et de couleur, des instants du quotidien…. Celles-ci en Noir & Blanc, portent un autre regard sur l’immensité et sa beauté, la solitude et le goût d’ailleurs.