Horizons… rendez vous à Beyrouth avec Simon Manoukian

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Le 7 octobre dernier marquait son retour aux racines et sa première année au poste d’Executive Chef chez un prestigieux traiteur beyrouthin. Au fil de son parcours, avec presque une décennie au Ritz, nous découvrons un homme pétri de curiosité, dont la simplicité et le sens de l’humain se conjuguent à une incroyable force de caractère. Une belle leçon de vie.

Par Marie Anne Page

Portrait de Simon Manoukian
Simon Manoukian

On a tous quelque chose en nous du Liban…

Le Liban, comme suspendu entre ciel et mer, aux paysages d’une incroyable diversité, petit pays en surface, grand pays à la civilisation millénaire… De ses ancêtres Phéniciens (extraordinaires navigateurs et commerçants), nous tenons notre alphabet (latin, calqué sur le grec, lui-même inspiré de leur alphabet). Quant à Beyrouth sa capitale, longtemps classée comme l’une des plus belles au monde à visiter, elle était souvent nommée « le Paris du Moyen-Orient »…

Quand le retour au pays se construit avec un beau challenge professionnel

En 2019, la proposition de devenir Executive Chef de Faqra Catering était une belle opportunité pour Simon Manoukian ! L’image de qualité de l’entreprise (créée en 1979), dépassant largement les frontières avec une certification ISO 22 000, l’organisation d’événements haut de gamme au Liban et à l’international, le plus grand laboratoire du pays, un centre de conférences, une clientèle élargie comprenant des universités, hôpitaux, banques, entreprises… sans oublier son charismatique propriétaire.

Faqra Catering : une culture d’entreprise où les valeurs humaines sont en pivot

A sa tête, le self-made entrepreneur Nabil Chartouni. Réputé pour ses qualités de managements, ce travailleur acharné, créateur d’un empire en industrie hôtelière sur différents continents, n’a rien oublié de son pays et de ses origines modestes. Un état d’esprit et des valeurs qui ont séduit le jeune chef. « Il regarde l’humain, il est toujours aux côtés de ses employés, ce qui donne une culture d’entreprise forte. »

Brigade de Faqra Catering en Octobre 2020, visite de Jean-Francois Girardin
Brigade de Faqra Catering en Octobre 2020, visite de Jean-Francois Girardin

Savoir évoluer dans un moment douloureux, mais exceptionnel en actes de générosité

« Le Liban est douloureux en ce moment. Nous sommes passés par plein de problèmes. Après le Covid, l’explosion à Beyrouth…Mais  c’est aussi une grande école professionnelle, un moment exceptionnel dans l’aide que l’on donne aux autres. On a atteint 60 000 repas offerts aux associations gouvernementales, aux hôpitaux, et ce n’est pas fini. J’ai dit à la Team ″ce n’est pas combien de plats nous cuisinons mais combien d’amour nous mettons dans la cuisine. Ce n’est pas combien nous donnons, mais combien d’amour est mis dans le don″. Le propriétaire continue d’investir dans la compagnie pour ne pas la fermer et faire travailler la brigade. Nous sommes toujours prêts pour le rebond et la signature de nouveaux contrats en cours. »

Ne pas oublier ses objectifs, en gardant sa rigueur et son humanité

Continuer d’apprendre, encore et toujours. Partager et transmettre sa passion de la cuisine. Simon Manoukian, de calme apparence, porte en lui une force de caractère et une ténacité hors normes. Occasion pour lui de rendre hommage aux chefs qui ont cru en lui et accompagné son parcours.

Mais pour commencer, d’où vient ce goût pour la cuisine ? « Je l’ai depuis tout petit. Je préparais des omelettes, des pizzas…Adolescent, comme pas très fort en maths pour d’autres types d’études, mon père m’a dit ″tu aimes cuisinier, pourquoi ne pas faire ce métier ?″ Quant à son goût certain pour la pâtisserie, le chef en a toujours été curieux, allant même observer les préparations après son service. Et pour lui, un bon cuisinier doit savoir préparer un dessert !

Après un BTH à l’école hôtelière de Beyrouth, Simon s’envole pour la France (son pays phare en gastronomie), pour passer son BTS au lycée hôtelier de Soissons. C’est là qu’apparaît son premier « ange gardien », à savoir le professeur Damien Duquesne, qui décèle le potentiel du jeune homme.

« Il a cru dans mon talent, ma encouragé et a aimé ma curiosité ». C’est lui qui lui décroche un stage à l’hôtel Vendôme, aux côtés du chef Gérard Sallé. « Il m’a appris l’ABC de la cuisine sur le terrain et la rigueur, il m’a aidé dans mon parcours professionnel à tous les niveaux. » Ce même chef qui va l’engager lorsqu’il prend la direction des cuisines de La Marée, royaume des poissons et crustacés, où Simon va évoluer de commis à demi chef de partie.

Simon Manoukian et son Mentor Jean-Francois Girardin
Simon Manoukian et son Mentor Jean-Francois Girardin

Le Ritz ou l’art de concrétiser un rêve

Simon a un rêve : travailler dans le palace de la place Vendôme. Malgré une demande de stage tout d’abord refusée, le jeune chef reste tenace, et patient. Tenace point d’accepter plus tard un poste de 2e commis pour intégrer la brigade! Jusqu’où peuvent mener les rêves… Loin comme nous allons le voir. De son arrivée en 2005 à 2012, Simon gravit les échelons pour devenir Sous chef de cuisine, passant plus de sept années aux cotés de Jean-François Girardin (devenu président des MOF) et Michel Roth. « J’étais le bras droit de Jean-François Girardin sur les banquets et le brunch, c’est un grand homme, de cœur et on est toujours en contact. Il est pour moi comme un père au niveau professionnel et m’a encouragé sur les concours. Avec Michel Roth, autre grand chef, j’ai appris le raffinement, la patience et la modestie. » Côté concours, Simon Manoukian est sorti vainqueur de l’International Cup de Cuisine en 2011, monté sur la 3e marche du podium lors du Trophée Passion 2008 (et primé pour le meilleur dessert).

Ce fameux brunch dominical… Il accueillait le tout Paris et nombre de VIP comme le président Chirac. « C’était 200 personnes tous les dimanches, autour de différents buffets (libanais, japonais, italien…), d’autres avec des fruits de mer, des pâtes, des omelettes préparées devant le client. Nous étions précurseurs à l’époque ! »

Après (les travaux du palace), le chef rejoint l’Ecole Ritz-Escoffier. Cycles courts et cycles longs, les élèves viennent de la capitale, de l’Hexagone et du monde entier. « Ce n’était pas un choix au départ, mais j’ai aimé la transmission et de plus, j’avais toute liberté de création pour mon programme. »

Simon garde un attachement fort au Ritz et à l'esprit Escoffier
Simon garde un attachement fort au Ritz et à l’esprit Escoffier

« Ma mère la France et mon père le Liban »

Une phrase chère à Simon, fort de gastronomie française et des chefs mentors qui l’ont accompagné, fort de sa propre gastronomie : cosmopolite et voyageuse. Un concentré de savoir-faire aux multiples influences, en cultures et en produits, avec une identité tout en force et en finesse. Identité qui  puise ses racines chez ses ancêtres Phéniciens, grands navigateurs et créateurs d’importantes cités marchandes, qui ont dominé le commerce méditerranéen durant des siècles.

Le fameux mezzé servi en entrée est une parfaite illustration de cette diversité: des petits plats aux assaisonnements aromatiques, préparés dans un parfait équilibre de saveurs et de textures  en cru, cuit, doux, piquant, acidulé, croquant, amer, croustillant…« C’est une cuisine raffinée et saine, de plus en plus à la mode je pense, qui attire aussi les végétariens par son grand choix d’entrées et de plats à base de légumes et de féculents.»

Le chef a toujours aimé travailler une cuisine fusion entre les deux traditions, en utilisant des produits typiques du Liban comme la mélasse de grenade, le sirop de caroubier ou l’eau de rose. En exemple récent, le gâteau « Le cœur en rose », parfumé à l’eau de rose (génoise et glaçage, en photo), ou encore, un gâteau au curcuma à la glace passion rhum…

Avant de quitter Simon et Beyrouth, quelques « madeleines de Proust », entre Liban et France…

« Le mouloukhié de ma maman, un plat dominical fait d’un légume qui ressemble à une grande feuille de menthe (mais se rapproche plus de l’épinard), qui se mange avec du riz, en ragoût avec de la viande et du poulet mijoté. Dessus, on rajoute des croûtons de pain, de l’oignon au vinaigre de cidre. Le sandwich chawarma (viande ou poulet grillé avec des crudités), ce n’est pas du tout le même à Beyrouth ! En France, l’éclair au chocolat et le soufflé au chocolat. »

FAQRA CATERING
Corniche El Nahr, Beirut, Lebanon
faqracatering.com


Sirop de caroube, crème de sésame et mélasse de grenade : petit focus sur trois produits phares de la gastronomie libanaise chers à Simon Manoukian. En harmonie avec les tendances actuelles et déclinables de multiples façons, ils se prêtent bien à l’univers du snacking, salé ou sucré.

Le Caroubier, arbre aux mille vertus © Diane Cassis
Le Caroubier, arbre aux mille vertus © Diane Cassis

Le sirop (ou la mélasse) de caroube

« Sur les plateaux du Mont Liban y a pas mal de caroubiers, et la mélasse de caroube fait partie de l’histoire de cette montagne. » Un arbre aux mille vertus, plébiscité depuis des millénaires. Cosse, pulpe, graines…tout se transforme pour devenir gomme, farine ou sirop (ce dernier rapprochant de la mélasse par sa texture épaisse).  

« J’apprécie ce sirop car il remplace agréablement le sucre. J’en mets dans le sfouf, un gâteau traditionnel. Il va aussi très bien des biscuits santé ou de régime. J’aime aussi l’associer avec de la crème de sésame (tahin) pour le tartiner sur du pain ou des toasts, comme de la confiture. »

Le sfouf dont parle le chef est un gâteau santé par excellence. Sans lactose (on peut utiliser du lait d’amande), et sans beurre, délicatement parfumé au cucurma (dont on connaît les multiples propriétés), à l’anis, à l’eau de rose… Décoré de pignons de pain, il peut être découpé et présenté en rayon façon brownie.

Sirop de caroube dans un pot et graines de caroube
Sirop de caroube dans un pot et graines de caroube

La crème de sésame ou « Tahini »

« Un ingrédient star de la cuisine libanaise que l’on retrouve dans diverses entrées et plats. Il peut se cuisiner froid ou chaud, mais là, cela demande une certaine technique pour éviter que cela tranche (soit, remuer doucement sans arrêt à feu doux ,et dès les premières gouttelettes d’huile apparaissent, on arrête la cuisson). J’adore le mariage du tahin avec l’orange amère, que l’on retrouve dans différentes spécialités, dont une sauce poisson.»

Le Tahin se marie bien avec les légumineuses (en exemple, le fameux houmous !), les légumes, les blettes (légume préféré du chef), assaisonne une salade mélangé à des éclats éclats de grenade… Crème de sésame travaillée sauce froide avec des crevettes, du poisson… « C’est bien pour des préparations végan, en remplacement de la mayonnaise et c’est plus léger. »

Le Tahin © Minimalist Baker
Le Tahin © Minimalist Baker

La mélasse de grenade

Facile à travailler en froid ou en chaud c’est un condiment idéal, qui se prête à de multiples usages. Elle parfume les salades (telle la traditionnelle fattouche, une salade composée parfumée au sumac qui fait partie du fameux mezze libanais), elle se marie à la cuisson du canard, du foie, des viandes, des jus et des sauces, elle laque…La mélasse de grenade est un parfait remplaçant du caramel ! Coté fruits, le chef aime y caraméliser des cerises ou, la marier avec de la pastèque.

Melasse de Grenade © El Agora de los Angeles
Melasse de Grenade © El Agora de los Angeles

Pas steak/pas-stèque… vous avez dit rouge sang ?

« Lors d’un cocktail végan à créer, j’ai joué sur les mots ″pas-stèque″  avec une pastèque poêlée au poivre (première sensation en bouche, un goût de viande), accompagnée un jus de grenade-tamarin chaud, une chips de pomme de terre vitelotte pour le croustillant. »

Avec sa douceur et son petit goût acidulé, cette grande alliée en cuisine est même partante pour prendre le rôle de l’hémoglobine ! Les déclinaisons sur le végan façon boucherie n’étant pas toujours aisées, voilà une belle source d’inspiration…

Simon Manoukian

Executive Chef de Faqra Catering
Corniche El Nahr, Beirut, Lebanon